Bruno Orietti, Responsable Export au sein de la société ETT, retrace l’évolution de cette PME bretonne née à Ploudalmézeau (29) il y a près de 50 ans et aujourd’hui reconnue pour ses solutions de climatisation et de chauffage industriel. Il raconte comment, guidée d’abord par l’opportunisme des rencontres, l’entreprise a progressivement structuré son ambition au-delà des frontières. De la Belgique au Kazakhstan, ETT a transformé ses expériences export en stratégie globale, ouvrant des filiales et tissant des partenariats solides. Cette trajectoire incarne le passage d’une exploration instinctive à une conquête internationale réfléchie et méthodique.

 


 

Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre société?

 

ETT est spécialisée dans la conception de matériel de climatisation, de ventilation et de chauffage destiné à tous types de bâtiments à l’exception des logements individuels. Fondée en 1979 l’entreprise basée à Ploudalmézeau (29) compte aujourd’hui 400 collaborateurs. Nous nous adressons à plusieurs secteurs comme le retail (grandes surfaces, magasins spécialisés, restauration rapide), l’industrie, le secteur des piscines et patinoires, ainsi que le tertiaire (hôtellerie, salles de spectacles, cinémas). Nous développons aussi des solutions pour des secteurs plus spécifiques comme l’aéronautique et les marchés de l’énergie (éolien off-shore, nucléaire, stockage d’hydrogène etc).

L’entreprise a été créée par des ingénieurs. Elle est née des besoins identifiés sur le terrain, liés notamment au climat breton et à la proximité avec la mer. Ces conditions nous ont poussé à concevoir des équipements durables, résistants à la corrosion et performants en déshumidification. Ce savoir-faire dans la fabrication en aluminium reste un marqueur fort de notre identité.

Pour ma part je dirige l’ensemble de l’équipe export. J’ai conservé une zone opérationnelle même si je sais qu’il me faudra progressivement m’en détacher. Mon goût pour le commerce reste très fort mais je donne la priorité à l’équipe. Ma zone de responsabilité correspond à toutes les régions hors Europe et espace russophone. C’est un ensemble très vaste, assez hétérogène, où nous disposons de quelques implantations solides. Certaines régions, dont l’Asie, restent encore peu couvertes, même si nous y avons déjà mené de beaux projets. Les États-Unis et l’Amérique latine ne font pas encore partie de notre périmètre. En Afrique, notre présence reste limitée mais c’est un axe que je souhaite renforcer.

Nous affichons depuis plusieurs années une croissance proche des deux chiffres et prévoyons de clôturer 2025 avec un chiffre d’affaires de près de 83 M €. L’export a représenté environ 15 % de notre chiffre d’affaires en 2024 et devrait atteindre près de 18 % en 2025.

 

Comment l’export a-t-il démarré pour votre entreprise ?

 

Au départ, notre activité internationale se limitait surtout aux DOM-TOM. C’était déjà de l’export au sens strict, avec ses contraintes : formalités douanières, octroi de mer, transport et conteneurisation des machines. Cette étape nous a permis d’acquérir une vraie expérience.

Pendant plusieurs années, nous avons continué sur ce marché sans chercher à se déployer. Ce n’est que plus tard, en structurant progressivement une stratégie export, que nous avons réellement élargi notre périmètre. Cela a commencé par l’ouverture d’un bureau en Belgique, puis par une collaboration avec un partenaire clé au Portugal, leader dans le secteur de la piscine.

Aujourd’hui notre croissance à l’international repose sur une logique d’innovation constante : comprendre les besoins réels du marché tout en restant exemplaires sur le plan environnemental. Les pompes à chaleur, autrefois associées à une image polluante, utilisent désormais des fluides à faible impact climatique. Notre politique RSE renforce cette approche et inspire confiance, ouvrant la voie à de nouveaux marchés.

 

Vous diriez que votre développement à l’international se construit de manière structurée ou plutôt au gré des opportunités?

 

Je dirais que c’est un juste équilibre entre les deux, avec une bonne dose d’opportunisme. Beaucoup de projets sont nés de rencontres. L’arrivée d’un de nos collaborateurs, par exemple, a marqué un tournant majeur. Fort d’un solide réseau en Europe de l’Est, il a apporté une vision basée sur la création de filiales locales, favorisant ainsi une implantation durable dans les pays.
Grâce à cette approche, nous avons créé ETT Kazakhstan, ETT Poland et plus récemment ETT Romania. Nous avions également une filiale en Russie, aujourd’hui mise en veille. À chaque fois, tout est parti d’une conjonction favorable entre un marché mûr et la présence sur place de la bonne personne, motivée, compétente et en phase avec nos valeurs.

Mais nous passons progressivement d’une phase opportuniste à une stratégie plus intentionnelle, ciblant des zones précises et testant de nouveaux territoires avec méthode.

Ces dernières années, notre croissance à l’international s’est nettement accélérée. Après une année record en 2019, nous avons réussi à stabiliser notre activité et à dégager un chiffre d’affaires annuel autour de 8 à 9 millions d’euros. Cela nous offre désormais une base solide pour planifier nos développements futurs.
Lancée en 2020, notre stratégie ETT2025 visait les 15 millions d’euros ; malgré le ralentissement lié au COVID et la perte du marché russe, nous avons atteint 14 millions, preuve de notre résilience.
Nous avons depuis engagé une nouvelle étape avec la stratégie ETT2030. L’international représente désormais l’un des trois piliers de notre développement, aux côtés des services et de la relation client. Notre croissance future passera indéniablement par cette ouverture vers le monde.

 

Votre approche est-elle différente selon les zones ciblées ?

 

Elle varie en effet selon les marchés, chaque région possédant sa propre logique. Dans certains territoires nous travaillons avec des agents commerciaux ; un modèle à risque limité, gagnant-gagnant lorsqu’il fonctionne, et sans coût lorsqu’il échoue. En Europe de l’Est, où nous disposons déjà de filiales, on a très vite compris qu’une implantation locale est essentielle pour crédibiliser notre offre aux yeux des clients. En Europe occidentale nous avons recours à des distributeurs partenaires.

 

Notre démarche, fondée sur l’intentionnalité, peut s’appliquer partout, à condition de respecter les sensibilités locales. 

 

Selon votre expérience, quels sont les principaux critères à prendre en compte lorsqu’on lance un projet à l’international?

 

L’un des critères essentiels est de comprendre que, même en étant leader sur son marché national, il peut être stratégique d’adopter une posture de suiveur à l’export. Innover et devancer la concurrence fonctionne parfois, mais pas toujours à l’international.

Un premier signal d’alerte est l’absence de concurrence sur un marché. Si nos principaux concurrents, souvent bien plus grands et implantés dans le monde entier, n’y sont pas présents, il faut en chercher la raison, souvent structurelle ou économique.
De même, l’absence de grands clients habituels peut révéler un contexte réglementaire défavorable ou un manque d’opportunités réelles. Il est donc crucial d’observer ces signaux externes et de compléter son analyse par des critères objectifs.

L’exemple du Moyen-Orient est parlant. Malgré un potentiel théorique en phase avec notre positionnement haut de gamme, nous avons rencontré sur place des réalités bien différentes : intermédiaires éloignés des décideurs (ce sont souvent en effet des contacts indiens ou pakistanais qui traitent sur place, l’accès aux dirigeants émiratis obligeant à posséder un réseau local énorme), préférence pour du matériel bon marché, concurrence mondiale intense et contraintes techniques spécifiques au climat. Nous avons compris qu’insister serait consommateur de ressources sans garantie de succès.

Je pense aussi à une mission collective à laquelle j’ai récemment participé en Afrique du Sud. Malgré un potentiel évident sur le papier, nous avons découvert sur place qu’un concurrent malaisien y détenait déjà une position dominante. Le marché était verrouillé ; il aurait été inutile d’y insister.

Cette expérience nous a rappelé qu’aucune étude ne remplace une présence sur le terrain. Il faut, de plus, bien comprendre que les projets internationaux se construisent dans la durée. Il faut accepter d’explorer, d’observer et de rencontrer les acteurs locaux avant de s’engager.

De même, chaque pays possède sa propre culture. Nous en tenons compte dans notre manière de travailler. Mon équipe, très multiculturelle, nous aide à saisir ces nuances : ma collaboratrice en charge de l’Europe occidentale est d’origine vietnamienne. Celui travaillant sur l’Europe de l’Est a vécu en Russie et je suis moi-même marié à une Roumaine. Cette diversité nous rend attentifs aux signaux faibles propres à chaque culture et nous pousse à adapter notre stratégie en conséquence.

Je suis convaincu que notre démarche, fondée sur l’intentionnalité, peut s’appliquer partout, à condition de respecter les sensibilités locales.

 

Quels autres conseils donneriez‑vous à une entreprise qui souhaite se lancer à l’international ?

 

La principale difficulté, c’est de trouver le bon équilibre. Je recommande régulièrement à mes équipes de ne pas se disperser sur trop de marchés mais de ne pas non plus rester enfermé dans un seul. Nous avançons pas à pas, avec des objectifs réalistes : concentrer ses efforts sur quelques pays à fort potentiel plutôt que de nous disperser.

Par ailleurs, à mes yeux, il existe trois leviers essentiels pour bien débuter à l’international.

D’abord, s’appuyer sur ce qu’on maîtrise déjà. Au départ, cela peut sembler évident, mais la langue est un atout déterminant. Viser des marchés francophones offre un avantage culturel et linguistique non négligeable, et constitue souvent un tremplin naturel pour une première expérience à l’export.

Ensuite, valoriser son réseau existant. Les entreprises françaises collaborent fréquemment avec des multinationales implantées à l’étranger. Ces contacts peuvent devenir des portes d’entrée vers de nouveaux marchés. Mais il faut éviter l’erreur classique consistant à imposer son modèle français. Chaque pays a ses spécificités, et la réussite passe par l’écoute et l’adaptation.

Enfin, accorder une attention particulière aux aspects réglementaires. Avant de viser un marché soumis à des normes strictes, il faut s’assurer d’avoir la trésorerie nécessaire pour les respecter. Pour commencer, mieux vaut choisir un pays où les normes françaises ou européennes sont déjà reconnues. Cela permet de limiter les coûts et de construire une base solide avant d’investir davantage.

 

De quelle manière votre entreprise a-t-elle été accompagnée dans le cadre de son déploiement à l’étranger ?

 

Dès le début de notre développement à l’international, nous avons eu la chance de bénéficier d’un accompagnement solide.

Outre les missions collectives auxquelles nous participons parfois, nous avons intégré l’Accélérateur Afrique de Bpifrance, un programme de 18 mois qui nous fait gagner un temps précieux sur l’analyse de marché, l’identification de cibles et l’organisation de rendez-vous.

Par ailleurs, nous nous impliquons activement dans les actions de Bretagne Commerce International, notamment lors de l’OPEN de l’international. Mes équipes participent régulièrement aux réunions d’information et tables rondes qui sont organisés par BCI tout au long de l’année.

De plus, le dispositif France 2030 Export, et les subventions qui l’accompagnaient, nous ont permis de mettre en place des actions concrètes pour notre déploiement à l’étranger.

Ces appuis institutionnels sont essentiels et il ne faut pas hésiter à les utiliser pour aller plus vite et plus loin, à condition de savoir formuler ses besoins et de s’investir personnellement. Toutefois, le suivi commercial reste entièrement de notre responsabilité. C’est à nous de prendre le relais, d’assurer la continuité et de transformer ces opportunités en résultats concrets.