Mis à jour le 20/11/2023

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Qui êtes-vous ?

 

Breton Franco-Turc, j’ai grandi à Lorient. Je dirige aujourd’hui la société Advantis Conseils Turquie, basée à Istanbul, que j’ai fondé en janvier 2003. Nous célébrons cette année les 20 ans de la société, une date particulièrement symbolique puisqu’elle coïncide avec l’anniversaire des 100 ans de la fondation de la République de Turquie.

J’ai débuté ma carrière chez le rennais Pinault Distribution. J’ai ensuite intégré le groupe Carrefour dans le service sourcing international puis à la Direction des achats en Turquie.

Je bénéficie aujourd’hui d’une expérience de plus de 20 ans sur la Turquie en conseil opérationnel et stratégie, accompagnement export, gestion des opérations d’implantation commerciale et industrielle sur le sol turc et stratégie en Fusacq.

Je suis par ailleurs Représentant Turquie de Medef International et Vice-président délégué en charge du réseau international de l’OSCI.

 

Quel est le contexte dans lequel vous évoluez dans le cadre de vos activités ?

 

La Turquie est un pays qui dispose d’atouts très intéressants : un positionnement géographique stratégique, une population importante jeune et instruite et une bonne diversification de son économie et de son écosystème sectoriel qui présente des opportunités dans diverses industries. Il existe des opportunités pour tout le monde, il s’agit véritablement de bien connaître son marché et de saisir intelligemment l’occasion de développer son activité sur le marché turc malgré les pressions inflationnistes auxquelles la Turquie fait face depuis maintenant quelques années, la politique monétaire caractérisée de « peu orthodoxe » menée jusqu’à maintenant par l’État et les différentes crises politico-économiques et géopolitiques.

 

Secteurs porteurs

D’après-vous, quels sont les secteurs porteurs pour les entreprises bretonnes en Turquie ?

 

La Turquie est un pays qui offre beaucoup d’opportunités dans divers secteurs d’activité. Pendant les années 1990, elle a renforcé son ouverture économique en signant une série d’accord de libre-échange dont l’Union douanière avec l’UE (1996) ; et les années 2000 ont été marquées par la libéralisation de son économie. Ces évolutions ont entrainé l’économie à se développer pour qu’elle soit plus compétitive sur la scène internationale. Aujourd’hui, on peut citer plusieurs secteurs porteurs :

 

L’agriculture est un secteur très dynamique. Il s’agit d’un pays agricole de tradition qui se positionne 1er producteur européen et 7ème mondial. Il s’agit de la première production de fruits et légumes frais en volume parmi les pays d’Europe. Mais le secteur agricole repose sur des méthodes peu automatisées ce qui conduit le pays à recourir aux savoir-faire étrangers pour moderniser son agriculture. Le gouvernement turc soutient ces investissements et continue à mettre en place de nombreuses incitations et subventions. Sur le plan de l’élevage, la filière bovine a réalisé des avancées significatives depuis les années 2000 mais reste encore dépendante d’investissements pour améliorer sa productivité. Côté élevage ovin, la Turquie performe en détenant le plus gros cheptel d’Europe. Elle exporte une partie importante de sa production ovine (viande transformée et ovins vivants) vers les marchés voisins du Moyen-Orient (Iran, Qatar, Liban). Enfin, l’aviculture est un secteur fortement productif permettant à la Turquie de se positionner comme 10ème producteur mondial de viandes de volaille et d’œufs. La majorité des sites sont entièrement intégrés (usines d’alimentation animale, abattoirs et unités de transformations) et l’industrie est fortement exportatrice.

 

Grâce à cette force agricole, la Turquie détient une industrie agroalimentaire développée, très performante à l’export. Depuis les années 2000, l’industrie, plébiscitée par les grandes marques internationales, s’est considérablement développée et diversifiée pour maitriser les processus de transformation les plus poussés du secteur. En 2020, l’industrie a généré 54 milliards USD. Le secteur bénéficie également d’une forte demande locale en constante évolution du fait de consommateurs jeunes et davantage conscients, à la recherche de produits de qualité et innovants. Cette nouvelle génération connectée offre également de nombreuses portes à la grande distribution, dont le marché était évalué à 70,1 milliards USD en 2021.

 

Il est également possible de mentionner le domaine de la santé qui présente de nombreuses opportunités. 32 projets de “Ville-hôpital” totalement intégrés d’une capacité totale de 41.000 lits, ont été lancés ces dernières années. 20 d’entre eux sont aujourd’hui en activité. La construction de ces campus hospitaliers a pour objectif de répondre à la demande croissante en soin, stimulée aussi par le tourisme médical. Le pays recense un grand nombre de fabricants locaux de dispositifs médicaux, mais ils sont généralement de petite taille et spécialisés dans les produits à faible valeur ajoutée (pansements, seringues…) ce qui conduit le pays à importer plus de 85% de ses besoins en équipements avancés. La crise sanitaire a par ailleurs accentué les besoins en solutions de télésanté, de soins et de surveillance à distance.

 

L’automobile est un secteur qui maintient une forte attractivité. 1er secteur exportateur du pays, la Turquie est 5ème fabricant d’Europe et 14ème mondial, elle exporte ¾ de sa production avec l’Europe comme principal marché. Il s’agit véritablement d’un centre d’excellence international pour les géants de l’automobile qui y ont leurs sites de production (FORD, FIAT, DAIMLER, RENAULT, TOYOTA…). Aujourd’hui plus de de 1.000 OEM de premier rang et près de 4.000 équipementiers sont actifs dans le pays. Grâce au transfert de compétence, la Turquie est devenue elle-même un constructeur et a conçu et développé sa propre marque turque de véhicule pour particulier, TOGG, dont le premier modèle, le T10X, un SUV 100% électrique, a été lancé en mars 2023. Cette avancée majeure laisse présager un dynamisme encore plus important dans l’industrie automobile.

 

Toutes les applications liées aux nouvelles technologies restent un domaine de croissance important. Les Turcs sont en effet très connectés, la jeune population (33,5 ans d’âge moyen) contribue à favoriser l’adoption rapide des nouvelles technologies. Dans le domaine industriel, les technologies liées à l’optimisation de la production, de l’énergie, de la gestion et de la valorisation des données sont de plus en plus recherchées. De manière générale c’est toute l’industrie 4.0 dont on sollicite les solutions. En particulier celles liées au service de l’énergie, de l’économie circulaire & green.

 

En parlant green, la Turquie a ratifié les Accords de Paris en 2021, elle vise ainsi la neutralité carbone d’ici 2053 ce qui annonce une politique climatique ambitieuse. Elle s’engage dans la transition écologique et énergétique en développant notamment les énergies renouvelables. La Turquie a en effet une prédisposition extrêmement avantageuse concernant l’utilisation des énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne. L’état prévoit d’installer 42 000 MW d’énergie solaire, 18 000 MW d’énergie éolienne et 5 000 MW d’énergie éolienne offshore d’ici 2035. Selon les estimations, le marché devrait enregistrer un TCAC d’environ 4,9% au cours de la période de prévision 2022-2027.

 

Toutes les solutions technologiques liées à la mobilité, au transport et au smart-cities sont aussi très recherchées. Il faut savoir que la Turquie abrite 21 régions de plus d’1 million d’habitants dont 9 de 2 millions avec Istanbul, la métropole majeure du pays, qui accueille plus de 16 millions d’habitants. L’urbanisation est un défi majeur et toutes les technologies intelligentes, les applications et les innovations numériques servant au bien-être des citoyens représentent un énorme potentiel.

 

Ces dernières années, l’écosystème des start-ups turques attirent des investissements étrangers conséquents. En 2022, 1,84 milliard USD ont été investis à travers 277 transactions, un record. Les investissements ont surtout porté en matière de jeux, d’intelligence artificielle, de FinTech, de services de livraison et en soins de santé. A juillet 2023, l’industrie comptait 7 licornes turques (Peak Games, Getir, Dream Games, Hepsiburada, Trendyol, Insider et Papara).

 

Enfin, la défense est aussi très dynamique et hautement stratégique pour la Turquie. L’État alloue en moyenne un budget de 18 milliards $ chaque année. Le pays a aujourd’hui gagné une certaine autonomie et est capable de fabriquer des équipements et matériels de défense. Le pays a notamment gagné en reconnaissance concernant ses drones militaires. Mais l’indépendance technologique n’est pas encore totalement atteinte et la Turquie reste tributaire de l’expertise et des savoir-faire étrangers. Elle fait très souvent appel aux compétences des sociétés françaises pour les technologies de pointe dont elle ne maitrise pas totalement sa conception.

 

Comment conduire ses affaires dans ce pays et communiquer avec les partenaires ?

 

Il n’existe pas de différences culturelles capitales pouvant amener à un risque de choc culturel. Au contraire, la Turquie est très proche des modèles occidentaux en affaires. Les étrangers sont souvent très bien accueillis, et les Turcs sont tolérants vis-à-vis des différences culturelles.

 

La Turquie est un pays riche en histoire et traditions et fière de son passé. Il est important de bien en déceler les codes avant de se lancer. Chaque secteur et chaque canal a ses propres méthodes. Selon le partenaire, public, privé, entreprise familiale, start up… la communication doit être adaptée. Une analyse peut être nécessaire selon le cas pour établir la stratégie adéquate.

 

Il y a une grande part d’émotionnel, même en BtoB. La relation de confiance que l’on crée avec les partenaires locaux est plus importante que le forecast ou les statistiques.

 

Selon l’interlocuteur, il y a quelques sujets à éviter néanmoins tels que la politique ou la religion.

 

Par ailleurs, ne restez pas focalisé sur Istanbul, mais tenez compte du développement régional.

 

Pour éviter quelques déconvenues, pensez à bien vous renseigner sur les jours fériés importants, à libeller vos échanges en euros ou en dollars et à entretenir un relationnel par téléphone de manière régulière.

 

Le relationnel est l’une des clefs du succès. Les Turcs apprécient les échanges et discussion en marge du business mais il faut faire attention à ne pas toucher à des sujets sensibles (politique, religion, sport notamment). Accepter les collations lors des visites (thé/café) est une forme de respect. Après avoir installé une relation de confiance avec son partenaire, les échanges peuvent être plus amicaux et même décontractés mais garder une certaine distance est conseillé.

 

Pratique des affaires

Dans le cadre des pratiques commerciales, lorsque l’on souhaite travailler avec la Turquie, sur quoi doit-on être vigilant ?

 

Il faut être au courant à minima du contexte dans lequel évolue les entreprises turques : inflation, dépréciation, délais de paiement longs, taxes à l’import…

 

L’économie informelle, bien que limitée, reste une réalité. Parfois, certains salariés gagnent bien plus que ce qui est officiellement déclaré. Et la gestion des comptes en entreprise peut différée des chiffres réels.

 

Comment les Français sont-ils perçus en Turquie, et à fortiori, les Bretons ?

 

La France est synonyme de sophistication, d’élégance, d’innovation pour les Turcs et les produits français sont reconnus pour leur esthétisme et leur qualité. Néanmoins, les stéréotypes du français arrogant existent, attention donc à ne pas prendre de haut vos interlocuteurs.

 

Il faut noter que les relations France-Turquie sont très anciennes et, économiquement parlant, fortes. Plus de 400 entreprises françaises sont installées en Turquie, dont 30 cotées au CAC 40. 100.000 personnes y sont, à ce jour, employées.

 

Et à l’inverse ?

 

La diaspora turque en France est relativement importante, La France compte environ 700 000 Turcs d’origine, la moitié possédant la nationalité française. Il s’agit de la deuxième communauté turque d’Europe après celle de l’Allemagne. L‘extrême majorité de cette population est composée des immigrés partis d’Anatolie à la fin des années soixante et de leurs familles.

 

Alors que cette première génération d’immigrés a surtout vécu en communauté sans réelle intégration à la France, la deuxième et troisième génération tentent de construire une identité franco-turque. Ces enfants et petits-enfants d’immigrés souhaitent se forger un destin tout en restant fidèles aux valeurs et à la culture turque.

 

Forces et faiblesses de la Turquie

 

Forces Faiblesses
  •  Résilience économique (croissance de 5,6% en 2022)
  • Économie diversifiée et en croissance
  • Système d’investissement libéral et attractif
  • Système d’incitation très performant qui s’accélère dans les régions
  • Secteur industriel et tertiaire performants
  • Vitalité démographique jouissant d’un marché de 83 millions d’habitants
  • Population jeune d’un âge moyen de 32,5 ans
  • Main-d’œuvre qualifiée, instruite, à des coûts relativement bas
  • Position régionale pivot, hub industriel et commercial
  • Destination privilégiée dans le raccourcissement de la supply chain
  • Couloir énergétique
  • Secteur bancaire assaini depuis les réformes engagées en 2002
  • Forte inflation résultant de la dégradation de la monnaie locale
  • Développement régional hétérogène
  • Proximité de zones de tensions (Guerre du Haut-Karabagh, conflit Palestine/Israël)
  • Forte dépendance énergétique
  • Déficit courant substantiel et épargne domestique insuffisante
  • Dépendance aux capitaux étrangers
  • Endettement en devises des entreprises et des banques accentuant l’exposition au risque de change
  • Part substantielle de l’économie informelle
  • Situation politique intérieure délicate (question kurde, conflit syrien et irakien, tentative de coup d’Etat)

 

 

Les erreurs à ne pas commettre

 

Que faut-il savoir lorsque l’on souhaite travailler avec la Turquie ?

 

Il faut garder en tête que les affaires ne se résument pas à l’argent. Les Turcs attachent de l’importance au relationnel et nouer des liens et apprendre à connaître son partenaire / client sont des valeurs importantes. Après avoir installé une relation de confiance, demander des nouvelles de son/sa conjoint(e) et des enfants peut être apprécié.

 

Il faut éviter les sujets sensibles comme la politique, la religion et même les événements historiques car chacun peut avoir une vision différente des faits. Une discussion peut rapidement se transformer en débat houleux. Vous pouvez très bien poser des questions si vous voulez en apprendre plus, mais évitez de juger surtout si vous ne vivez pas en Turquie.