Mis à jour le 24/09/2025

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Une hiérarchisation inédite pour la biomasse

 

Fin octobre, l’Allemagne a annoncé son intention de présenter courant 2023 une nouvelle stratégie d’utilisation de la biomasse dont les grandes lignes, destinées à guider les actions de la bioéconomie allemande d’ici 2030, ont d’ores et déjà été détaillées. Cette stratégie prévoirait de mettre l’accent sur le recyclage, les solutions de décarbonisation efficaces et l’utilisation de la biomasse comme matériau plutôt que comme combustible pour l’énergie, afin de garantir une production et une utilisation durables de la biomasse au niveau national, si ce n’est européen.

Le plan devra tenir compte du potentiel de biomasse durablement disponible, de la conservation des écosystèmes naturels et du principe de la priorité à l’alimentation.

Prônant la définition de nouvelles règles pour permettre une approche plus durable des ressources agricoles, forestières et issues de la gestion des déchets, les ministres allemands se concerteront au sein d’un groupe de travail interministériel pour trancher aux côtés des entreprises, des scientifiques et des citoyens sur des points de divergence comme le positionnement des biocarburants par rapport à l’électrification des transports ou celui du bois de chauffage par rapport aux pompes à chaleur.

Dans ses principes directeurs, la stratégie devrait en effet accorder la priorité aux utilisations matérielles de la biomasse par opposition aux utilisations énergétiques, qui libèrent du carbone dans l’atmosphère. Cheval de bataille de la transition écologique de l’Union européenne, la biomasse devrait donc voir ses rôles dans la transition énergétique redéfinis à moyen terme, l’Allemagne souhaitant privilégier les solutions de fixation du carbone et les avantages de la biomasse pour l’environnement, le climat et la biodiversité. La biomasse représenterait actuellement ~60% de l’ensemble des énergies renouvelables européennes, soit plus que les énergies solaire et éolienne réunies. La concurrence s’intensifie toutefois entre les utilisations alimentaires, les matières premières et les bioénergies. Avec cette stratégie, le gouvernement allemand ambitionne d’établir une nouvelle norme européenne qui embrasse aussi bien les usages ciblés du bois que ceux des cultures énergétiques ou des déchets organiques pour aboutir sur des utilisations plus efficaces “en cascade”. Sujette à controverse, l’approche allemande souhaite toutefois ménager les pays nordiques, dont l’économie se base largement sur les exploitations de la biomasse forestière aussi bien au niveau domestique qu’à l’international. Elle ne devrait toutefois pas ménager les biocarburants en consacrant le principe de la “priorité à l’alimentation” pour déterminer la quantité de terres et de biomasse qui peut être utilisée de manière durable.

 

Limiter les “menaces” sur la biomasse primaire

 

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses répercussions majeures sur les productions agricoles mondiales, les débats se sont amplifiés au sein de la société civile autour de la concurrence entre les possibles utilisations de ressources naturelles limitées, qu’il s’agisse des terres arables ou de la biomasse. Entre production de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux ou d’énergie, une “utilisation responsable et prévoyante des ressources naturelles” est jugée “plus importante que jamais”, tout en limitant les sources de déforestation pour mieux préserver le rôle des forêts en tant que puits de carbone dans la lutte contre le changement climatique. Quand bien même elle serait “trop tardive”, les grandes ONGs environnementales ont donc salué la stratégie allemande pour sa démarche inédite consistant à acter une hiérarchisation des priorités concernant les différentes utilisations de la biomasse.

Un mois auparavant, elles avaient déjà salué le vote du Parlement européen pour limiter progressivement la quantité de biomasse ligneuse primaire pouvant être brûlée dans les centrales électriques et sa capacité à être comptabilisée comme énergie renouvelable (et subventionnable), suscitant l’inquiétude du secteur de la bioénergie. La définition de “biomasse ligneuse primaire” n’exempte toutefois pas tous les bois et laisse de nombreuses marges de manoeuvre au secteur.

Dans ses priorisations d’emplois de la biomasse, la stratégie prévoit de privilégier les matières premières dites “renouvelables” pour des applications matérielles à haute valeur ajoutée, telles que des biens industriels durables ou les matériaux de construction. Pour ce qui est des besoins énergétiques, elle préconise l’utilisation des déchets et des résidus. Dans les mois qui viennent, l’Allemagne devrait donc étudier les domaines d’applications matérielles pour lesquels l’utilisation de la biomasse a les effets les plus positifs sur la protection du climat, de l’environnement et de la biodiversité, en tenant compte de l’ensemble de leur chaîne de valeur, et ce, pour mieux les soutenir. Elle étudiera également les manières de renforcer le recyclage des matières biogènes pour lesquelles aucune autre utilisation matérielle n’est possible, afin d’utiliser les composants et propriétés à valeur ajoutée et favoriser ainsi une fixation durable du carbone fixé dans la biomasse. Enfin, au-delà de booster les transports électriques, les pompes à chaleur et le biogaz, la stratégie allemande pourrait poser les bases de la bioéconomie circulaire européenne en encourageant à plus grande échelle la transformation  des bioressources vers une plus forte valeur ajoutée.

 

Mieux valoriser la biomasse secondaire

 

Une communication publiée par la Commission européenne fin novembre fait écho à l’annonce de la stratégie allemande et préfigure des contours que pourrait adopter une priorisation des applications matérielles de la biomasse “en cascade”. Destinée à clarifier la position de la Commission concernant l’emploi des allégations “biosourcé”, “biodégradable” et “compostable” pour les plastiques, dans le sillage de plusieurs mesures récentes controversées sur ces catégories de produits, cette communication pointe que l’utilisation de la biomasse d’origine durable peut remplacer partiellement les combustibles fossiles pour la chimie et les matériaux, en particulier la plasturgie. Elle présente donc l’avantage certain de réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles importés et d’accroître l’autonomie stratégique ouverte de l’UE. Cependant, lorsque les plastiques biosourcés sont dérivés de plantes cultivées spécifiquement pour être utilisées comme matière première (sucre, céréales ou huiles végétales), ces plastiques entrent en concurrence avec l’alimentation. Conformément aux objectifs de l’économie circulaire et au principe de l’utilisation en cascade de la biomasse, la Commission encourage les producteurs à donner la priorité à l’utilisation de déchets et de sous-produits organiques comme matières premières de leurs plastiques, en réduisant au minimum l’utilisation de la biomasse primaire et en évitant les incidences importantes sur l’environnement. De manière générale, l’initiative encourage des plastiques plus circulaires et l’utilisation de matières premières secondaires au lieu de matières premières primaires, y compris biosourcées. Avant de mettre un plastique biosourcé sur le marché, la chaîne de valeur devrait donc s’assurer que le pourcentage de sa teneur en biomasse est clairement spécifié et que ces plastiques ont été obtenus de manière durable, à partir de déchets et de sous-produits organiques bien gérés, plutôt que de biomasse primaire.

Avant de mettre un plastique biodégradable ou compostable sur le marché, l‘industrie doit prendre en compte l’ensemble du système (propriétés du matériau, environnement récepteur, délai nécessaire à la biodégradation, comportement des consommateurs). Pour les plastiques biodégrablables, les investissements devraient se concentrer uniquement sur les applications pour lesquelles leur utilisation procure de réels avantages pour l’environnement (substitution des plastiques conventionnels dont l’élimination, la collecte et le recyclage complets ne sont pas réalisables). Pour les compostables, il faut privilégier ceux qui permettent de protéger le compost contre la contamination par les plastiques et d’augmenter la collecte des biodéchets.