Mis à jour le 24/09/2025

 / 

Ce contenu est obsolète. Dans un souci constant de pertinence et de qualité, BCI choisit de mettre en ligne des informations récentes. Nous vous invitons à formuler une nouvelle requête dans la barre de recherche du site de BCI.

La biomasse, une ressource à sécuriser

 

La progression des concepts associés à la bioéconomie et à l’économie circulaire ne va pas sans favoriser une croissance significative des besoins en matériaux dérivés de la biomasse, pointés comme essentiels pour la transition vers l’économie bas carbone. Dans The European Biomass Puzzle, rapport publié en août 2023, l’Agence européenne pour l’environnement a analysé en détails les interactions entre la société humaine et les écosystèmes sources de biomasse, la façon dont la biomasse peut aider à atteindre les objectifs du Green Deal européen, et la manière dont le changement climatique pourrait affecter le potentiel de production de biomasse au sein de l’Union européenne.

Sur la base d’études scientifiques et de pénuries récentes, les économies européennes s’inquiètent de plus en plus que leurs ressources en biomasse ne suffisent pas à couvrir leurs besoins dans le contexte de la décarbonation, notamment car les débouchés non alimentaires se diversifient alors que les impacts du réchauffement climatique réduisent les volumes disponibles.

Sous tension, la biomasse devient un véritable enjeu de sécurité, aussi bien alimentaire qu’énergétique, mais il ne s’agirait pas d’oublier sa valeur au service de la conservation de la nature, de la réduction de la pollution, de l’atténuation du changement climatique et de l’adaptation à celui-ci. Source d’une concurrence accrue, l’orientation des différentes catégories de biomasse vers un nombre croissant d’utilisations finales à valeur ajoutée doit en effet aller jusqu’à inclure leur non-utilisation pour protéger la nature et la biodiversité, afin d’équilibrer la conservation des écosystèmes pour leur capacité à séquestrer le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Anticiper les conflits d’usages et les besoins de compromis en matière de production et d’exploitation de la biomasse soulève de nombreux défis, d’autant plus que les bénéfices peuvent s’avérer très indirects et gagneraient à être mieux quantifiés. Le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement souligne ainsi à quel point le rôle que joue la biomasse dans le Green Deal s’apparenterait à un puzzle : les synergies liées à l’utilisation et à la gestion des terres et de la biomasse varient grandement selon les parties prenantes, qu’elles soient issues de la société civile, du secteur privé ou de la sphère politique.

Dans sa note Delivering the bioeconomy agenda for 2024 and beyond, publiée fin septembre 2023, le Conseil européen de l’industrie chimique a de son côté défini des actions spécifiques pour exploiter le potentiel de la chimie biosourcée en Europe. En matière de biomasse, l’association professionnelle y réclame notamment un « accès équitable » et la mise en œuvre du principe de « l’utilisation en cascade ».

 

Nouvelles stratégies nationales en Europe

 

Les observateurs n’ont pas manqué de remarquer l’adoption accélérée de politiques liées à la biomasse ces derniers mois. Dans le sillage des nouvelles politiques destinées à réduire leur dépendance aux combustibles fossiles grâce aux énergies renouvelables, les pays européens ont notamment pris les devants, en particulier l’Allemagne, les Pays-Bas et la France.

Leaders dans la production et la consommation de biomasse, l’Allemagne et les Pays-Bas s’appuient déjà sur une solide industrie de la transformation du bois et les gouvernements ont mis en œuvre diverses politiques incitatives pour soutenir la croissance du secteur de la production et de la transformation de la biomasse, en lien direct avec leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.

La France promeut aussi de plus en plus activement l’utilisation de la biomasse comme source d’énergie renouvelable, subventions à l’appui, mais la ruée vers la biomasse tend à inquiéter les pouvoirs publics et les industriels, qui ont appelé à un exercice de transparence sur les ressources disponibles.

En mai 2023, le Conseil économique, social et environnemental a adopté un avis appelant à une gouvernance plus efficace et équilibrée qui permettrait d’anticiper la réorientation de la biomasse vers des usages nouveaux, sobres et durables tout en limitant les conflits. En août 2023, le Royaume-Uni a pour sa part dévoilé sa Biomass Strategy 2023, un plan dédié à la sécurisation de l’accès aux ressources issues de la biomasse. Le gouvernement britannique y a défini les mesures qu’il entend prendre à court et moyen termes pour renforcer la durabilité de la biomasse et les opportunités d’utilisation dans plusieurs secteurs de l’économie, énergétiques (transports, chaleur et électricité) et non énergétiques, en lien avec les objectifs zéro émission nette du pays. La stratégie examine la disponibilité future potentielle de biomasse durable au Royaume-Uni et la manière dont les ressources pourraient être hiérarchisées stratégiquement, notamment pour la biomasse associée au captage et au stockage du carbone, tout en anticipant un soutien encore plus accru par l’importation pour assurer les besoins estimés sur plusieurs axes prioritaires.

Non épargnée par les critiques, la stratégie britannique reflète les tensions croissantes qui agitent le secteur agroforestier à l’international, notamment en Amérique du Nord, fournisseur mondial de premier plan. Aux USA et au Canada, la société civile se mobilise de plus en plus activement contre l’abattage des forêts primaires pour la fabrication de granulés de bois destinés à l’export, notamment vers l’Europe et le Royaume-Uni. Blâmée pour ses pratiques, l’industrie se voit taxer de véritable menace pour la « justice environnementale ».

 

Le biochar, un cas d’étude révélateur

 

Vanté comme une « technologie ancestrale » en matière d’amendement et de régénération des sols, le biochar évolue rapidement vers un statut de technologie de pointe en tant que technique changeant la donne « de bout en bout », permettant à la fois l’élimination des biodéchets et la séquestration du carbone. À ce titre, l’intérêt envers le biochar gagne du terrain au niveau mondial, sous l’impulsion conjuguée de la recherche académique et d’un nombre croissant de startups jugées prometteuses et de plus en plus soutenues par les multinationales.

Afin de fournir une biomasse riche et des approches qui améliorent les processus naturellement présents dans les sols, tout en apportant une valeur ajoutée financière aux producteurs agroforestiers, la production et les applications du biochar se combinent désormais intimement aux pratiques circulaires et zéro déchet. Les acteurs du biochar se positionnent par ailleurs activement sur le marché des crédits carbone liés à la séquestration par le sol, appuyés par l’automatisation et la robotique et par l’analyse et le diagnostic des sols assistés par IA.

Bien que les chercheurs et l’opinion publique s’y intéressent de plus en plus, le biochar est encore relativement nouveau dans le paysage et l’efficacité de cette technique pour les exploitations agricoles à grande échelle n’a pas encore été démontrée. Le manque de connaissances pourrait donc être un obstacle à l’expansion du biochar en tant que solution d’élimination du carbone à grande échelle. Quelques études soulignent déjà que le biochar serait d’autant moins une « solution miracle » que chaque variété restructure de manière très spécifique les relations entre les plantes, le sol et les microbiomes, déjà relativement méconnues.

Le recours à cette technique doit donc être caractérisé attentivement selon des critères très précis avant que les agriculteurs ne soient incités à l’utiliser sur leurs cultures à l’échelle locale. C’est précisément l’un des aspects qu’un projet de loi bipartisan en attente d’adoption aux USA, le Biochar Research Network Act, entend creuser en établissant un réseau national de recherche destiné à étudier et tester le biochar sur une plus grande variété de types de sols et de cultures à travers le pays. En attendant, cela n’empêche pas d’assister à une multiplication des projets industriels de décarbonation à grande échelle basés sur le biochar en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine.

L’intérêt pour le biochar devrait aller croissant au fur et à mesure que les acteurs du marché du carbone renforceront leurs portefeuilles en termes de sources de séquestration. La vigilance reste de mise quant aux études qui contrediraient l’efficacité réelle du biochar et conduiraient à des accusations de greenwashing.